Les diabétiques perdent des jambes inutilement


Par CHRISTIE BLATCHFORD

Samedi, 26 Mars 2005



Jack Hunter, un résident de Mississauga, Ontario, a perdu sa jambe droite en bas du genou et plusieurs orteils de son pied gauche suite à des complications d'ulcères diabétiques.
Photo: Glenn Lowson/Globe and Mail


Les diabétiques canadiens se font amputer des pieds et des jambes à un taux alarmant chaque année en dépit d'une quantité croissante d'évidences scientifiques qui démontrent qu'un traitement déjà disponible peut potentiellement empêcher l'amputation dans environ 70 pour cent des cas.

Seulement en Ontario, des évaluations conservatrices présentent que 2100 diabétiques subissent des amputations au-dessus ou au-dessous du genou chaque année en raison d'ulcères au pied, mais quelques médecins prétendent en sourdine que ce nombre peut être doublé et qu'une récente étude Anglaise constate que les taux d'amputations sont souvent peu fiables et sous-estimés.

Statistiquement, environ 2,5% des plus de deux millions de Canadiens souffrant de diabète développent des ulcères aux pieds chaque année - la maladie cause souvent une mauvaise circulation et des dommages aux nerfs dans les extrémités, avec comme résultat que des problèmes mineurs tels que des calus et des coupures peuvent rapidement devenir infectés avant que le patient ne le réalise - environ un quart d'entre eux subiront éventuellement une amputation.

La plupart sont des personnes plus âgées dont le corps se dégrade après des décennies des effets insidieux de la maladie.

Pourtant, bien que le traitement - appelé Oxygéno-Thérapie Hyperbare, ou OTH - soit disponible, sur papier, dans la plupart des principales villes Canadiennes, son histoire controversée par des affirmations exagérées, combinée avec l'ignorance au sujet de son efficacité légitime dans plus d'une douzaine d'indications et au fait que l'Establishment médical est dominé par le pharmaceutique, a eu comme conséquence que cette thérapie a été mise de côté.

"Elle n'a aucun équivalent," affirme le Dr Wayne Evans, directeur de la division de médecine hyperbare de l'Association Médicale d'Ontario, en référant tristement à l'OTH.

"Elle se perd dans le battage. Elle n'est pas attrayante. La profession la considère comme un sujet ennuyant qui implique des blessures dégoutantes qui affectent des personnes agées et odoriférantes la plupart du temps."

Le médecin hyperbariste Ross Harrison de Calgary mentionne que le manque d'information et l'hésitation répandue de la part des médecins à référer leurs patients diabétiques vers l'OTH est équivalent à une conspiration du silence.

"C'est certainement vrai," a-t-il dit au Globe and Mail dans une entrevue téléphonique faite de son bureau chez HBOT Clinics Inc., une clinique privée qui a traité 12 diabétiques l'année dernière.

"Les diabétiques perdent des jambes inutilement," rapporte le Dr Harrison. "Il n'y a aucun doute. Nous faisons face à beaucoup de résistance, de plusieurs différentes sources," en mentionnant une autorité de Santé Publique locale qui refuse catégoriquement d'approuver le traitement.

L'OTH est établie depuis longtemps comme remède pour les plongeurs souffrant de la ''maladie des caissons'' et pour les pompiers empoisonnés au monoxyde de carbone.

Mais depuis 1976, lorsque la Undersea and Hyperbaric Medical Society a formé un comité pour passer en revue la recherche et les données cliniques pour la première fois, d'autres utilisations thérapeutiques ont été ajoutées pour l'OTH, et la liste des "indications" recommandées en comporte maintenant 13, y compris les plaies post-radiation (qui peuvent se révéler des années après le traitement du cancer) et les blessures à problème, la catégorie dans laquelle se retrouvent les ulcères diabétiques au pied.

Que ce soit pour le traitement de décompression ou d'un ulcère au pied, les patients entrent dans une chambre de traitement où ils respirent de l'oxygène pur à 100% à une pression qui atteint en général 2 fois et demie à trois fois celle qu'on retrouve au niveau de la mer. Dans le cas des plaies diabétiques, cette hyperoxygénation active un certain nombre de processus régénératifs, telle la croissance de nouveaux vaisseaux sanguins.

Il y a eu, depuis 2001, quatre études cliniques randomisées contrôlées de l'OTH portant sur les ulcères diabétiques - la référence par excellence pour la médecine basée sur des évidences - bien que le nombre de patients ait été petit, variant de 30 à 70.

Toutes les études ont démontré un nombre nettement inférieur d'amputations chez les patients qui ont reçu l'OTH comparativement à ceux qui n'en reçurent pas, ou bien ont présenté une amélioration considérable du taux de guérison.

Pourtant, l'Association Canadienne du Diabète, dont une des fonctions est la ''recommandation efficace" pour les diabétiques, ne fait aucune mention de la thérapie sur son site Web. En fait, ce n'est que le mois dernier que l'ACD a annoncée qu'elle entreprendra bientôt une analyse technique indépendante de la littérature scientifique sur l'OTH, et des recommandations sont prévues pour cet été.

L'agence répondait à une lettre de Bill Roman, président du Conseil Canadien sur l'Oxygéno-Thérapie Hyperbare Clinique, invitant le groupe "à assumer sa responsabilité et à fournir ces informations aux patients, aux médecins et au ministre de la santé [ d'Ontario ] " et décrivant singulièrement la perte de membres en Ontario comme un "carnage."

''Le diabète en Ontario'', édité en 2003 par l'Institut pour les Sciences Évaluatives Cliniques, qui est considéré comme un "atlas de pratique" de haut niveau, consacre un chapître entier à la maladie vasculaire périphérique (le problème fondamental qui cause des dommages aux nerfs et mène à l'amputation) sans pourtant faire une seule référence à l'OTH.

Au niveau fédéral, Santé Canada consacre deux pages sur son site Web au sujet de l'OTH et présente 11 indications reconnues de la thérapie - mais aucun référence pour les plaies problématiques comme les ulcères au pied.

En effet, le guide ''A-Z'' d'information en ligne de Santé Canada présente quatre inscriptions au sujet de la fièvre de dengue, qui peut difficilement égaler la crise de la santé posée par le diabète. Les estimations universelles par les experts établissent une augmentation annuelle à environ 10% en raison du vieillissement de la génération de baby-boomers.

Pourtant, il y a une seule référence, actuellement non-disponible, sur le site Web d'Ottawa pour l'Oxygéno-Thérapie Hyperbare.

Comme le dit Michael Garey, un médecin hyperbare à l'Hôpital Lakeview près de Salt Lake City, Utah: "Pour certaines personnes, l'amputation est la meilleure option. C'est une bonne chirurgie. Mais un bon nombre de gens peuvent être sauvés. Et tous méritent le droit d'avoir un mot à dire, et de savoir qu'il y a des alternatives."

Il y a plus de deux ans que le Centre d'Assurance-maladie (Medicare) et de Services d'Aide Médicale (Medicaid), l'agence fédérale qui administre le plan fédéral d'Assurance-maladie et qui aide les états à administrer le Medicaid, a publié une ''décision de couverture nationale'' qui a étendu l'utilisation approuvée de l'OTH pour inclure spécifiquement la couverture des "plaies diabétiques aux extrémités inférieures."

C'est à partir d'avril 2003 que les diabétiques américains présentant des ulcères sérieux qui n'ont pas guéri dans un mois en utilisant les traitements standards devenaient éligibles pour l'OTH comme "thérapie complémentaire," une décision décrite par le Dr Evans de l'AMO comme "action très logique mais osée."

Le Dr Evans, un médecin hyperbare oeuvrant depuis 14 ans à la petite unité de l'Hôpital Général de Toronto et comme assistant professeur à l'Université de Toronto, remarque que "la décision des États-Unis n'est pas la seule pièce d'information. Il y a une tonne de matériel scientifique qui supporte l'OTH. Évidemment, une grande partie des plus anciennes évidences sont de qualité moyenne," a-t-il dit, "mais les travaux récents présentent des évidences substantielles. Elles n'obtiennent pas de visibilté dans les médias qu'une étude de 5 000 patients attirerait. Une étude importante peut être requise pour montrer une légère différence, mais une petite étude peut tout de même présenter une différence statistiquement significative."

Le Dr Ted Sosiak, secrétaire du comité sur la médecine hyperbare de l'AMO, mentionnait au Globe and Mail, que ''puisqu'il n'y a aucun brevet qui peut être obtenu sur l'oxygène et qu'il n'y a aucune incitation financière, il n'y a personne qui s'implique pour faire une recherche avec $20 millions."

Pourtant le Dr Sosiak ajoute que "l'évidence est là" - non seulement que le l'OTH fonctionne "environ 75% du temps," mais également qu'elle est rentable. "Une amputation au Canada coûte environ 74 000 $ d'après les propres chiffres de l'ADC," a-t-il fait ressortir, tandis que le coût moyen d'un traitement d'OTH - 30 ou 40 sessions sont habituellement nécessaires pour guérir entièrement un ulcère diabétique - varie entre 8 000 $ et 12 000 $.

La situation dans ce pays est compliquée par les plans provinciaux d'assurance-maladie, qui couvrent l'OTH. Mais certains, comme en Ontario, paient seulement pour la consultation du médecin, en utilisant des codes archaïques qui ont été développés en 1968 alors que l'OTH était utilisée principalement pour les plongeurs sous-marins. Dans d'autres provinces, telle l'Alberta, les cliniques sont également compensées avec des "honoraires de service," qui sont facturés au département de santé locale.

Puisque le modèle de l'Ontario ne rembourse aucuns frais de service ou d'honoraire technique, il en résulte qu'il y a peu d'incitation pour les cliniques hyperbares qui se trouve en milieu hospitalier, telle que celle de l'Hôpital Général de Toronto (HGT) - la seule clinique d'hôpital servant la plus grande ville au pays - pour traiter les patients électifs tels que les diabétiques, ou à prendre de l'expansion. Le budget "autonome" de l'HGT n'est que de $285 000, tel que rapporté par Gillian Howard, porte-parole de l'hôpital, soulignant que la clinique est censée fonctionner comme "service d'urgence."

Mme Howard a dit qu'à chaque année, la clinique traite entre 100 et 125 cas; il y a environ quatre patients admissibles par jour, mais le Globe a appris par d'autres sources que seulement deux sont des diabétiques. Ces sources indiquent que ceci donne lieu à une liste d'attente d'environ un an à HGT, et à environ huit mois aux autres cliniques d'hôpitaux de la province, situées Ottawa et à Hamilton.

Puisque l'HGT traite seulement environ 15 diabétiques par année, et les autres hôpitaux qui traitent une moyenne cumulée d'environ 35 patients annuellement, cela signifie, selon le Dr Sosiak, que pas plus de 50 parmi les milliers d'Ontariens qui sont aux prises avec des ulcères dégénératifs aux jambes peuvent tirer profit de l'OTH.

Selon la ''Undersea and Hyperbaric Medical Society'', il y a 23 cliniques d'OTH à travers le Canada, soit un mélange de cliniques privées, militaires et d'hôpitaux. Et les diabétiques qui refusent de se soumettre à l'amputation et qui apprennent à propos de la thérapie mettront la main dans leurs propres poches si nécessaire et voyageront pour obtenir le traitement.

Mary Svitek, une femme de 64 ans de Windsor, évalue qu'elle a dépensé environ $10 000 pour le voyage et l'hébergement pour avoir accès à l'OTH par une clinique privée de Toronto il y a plus de deux ans.

Elle a mentionné au Globe ''que l'ulcère sur son pied droit avait guéri en deux mois, et a même fait croître de la nouvelle peau qui est encore parfaite." Mais au début de 2003, elle a développé trois nouvelles plaies sur la plante du pied, et a dû retourner pour d'autres traitements. ''Deux d'entre elles ont guéri, mais une est encore ouverte." nous a confié Mme Svitek.

Pourtant elle continue à marcher, et reste active. "Il me serait très, très difficile de perdre ma jambe. Je suis une personne très active."

Mme Svitek s'est renseignée à propos de l'OTH sur Internet, où, comme le Dr Evans de l'AMO l'a mentionné, "vous devez être un très bon Googler, et avoir une persistance obsessive-compulsive pour déterrer l'information.''

Mme Svitek a ajouté "qu'aucun des médecins de Windsor ne semblait être au courant.'' Quand elle a demandé une référence à son médecin de famille, elle a rapporté que son attitude était, 'Eh bien, vous pouvez aller de l'avant mais je ne sais pas si ça va fonctionner.' ''Il a été très impressionné quand il a vu comment ça a guéri."

''Ça m'a converti en croyant," nous a confié Jack Hunter, un détective privé de Toronto. "Je n'avais jamais entendu parler de cela, mais cela a fonctionné à merveille."

L'aventure chirurgicale de M. Hunter, agé de 66 ans, est typique de la pente glissante sur laquelle se retrouvent beaucoup de diabétiques qui commencent par une amputation mineure mais qui se termine plus tard dans la mort après avoir subi plusieurs procédures torturantes.

Le gros orteil de son pied droit est tout d'abord devenu décoloré, et tourna ensuite au noir avec une gangrène; il se l'est fait amputer. Alors les orteils adjacents furent affectés de la même manière, et sa jambe a été amputée au-dessous du genou le 11 mars de l'année dernière. Il sortit de l'hôpital cinq semaines plus tard avec une prothèse toute neuve.

Mais trois mois plus tard, alors qu'il était suffisamment informé pour être pris de panique, M. Hunter a noté "une petite tache noire" entre les orteils sur son pied gauche, et a finalement perdu deux orteils et un morceau de la plante du pied. Il attribue à l'OTH, qu'il a reçu à l'Hôpital Général de Toronto par le Dr Evans, le fait qu'il a sauver sa jambe. "Après huit semaines, elle va vraiment bien. Elle est presque guérie. Elle est simplement étonnante," a-t-il dit.

La plupart des médecins interviewés par le Globe disent que la demande face à l'OTH provient principalement des patients. "Pourquoi n'est-elle pas plus utilisée?" demande rhétoriquement le Dr Sosiak de l'AMO. "L'ignorance des médecins, aucune formation sur l'OTH dans nos universités; l'ignorance des patients; et une culture antagoniste."

Comme le Dr Garey de l'Hôpital Lakeview en Utah dit tristement, une "partie de la responsabilité vient de la politique; et une autre partie provient du fait que les médecins ne sont pas exposés à l'OTH pendant leur résidence et ils sont rébarbatifs face à ce à quoi ils n'ont pas été exposés. Je me bute à cela lorsque je présente des conférences à l'université ..... Je réponds toujours, ''Combien avez-vous lu d'articles parmi les 39 000 qui sont disponibles ?"

Il mentionna qu'en six ans de médecine hyperbare, il a traité des "douzaines de personnes à qui on a dit qu'elles avaient besoin d'une amputation, et nous fument en mesure de sauver leurs membres." Étant donné que la plupart des diabétiques qui sont confrontés à une amputation sont plus âgés, le Dr Garey souligne que la sauvegarde de leurs jambes "est une question extrèmement importante pour leur qualité de vie. La réadaptation n'est pas une chose rapide, pas plus rapide que les soins des plaies. Il est vrai que les prothèses sont beaucoup mieux maintenant, mais la plupart des personnes âgées ne peuvent jamais les utiliser avec succès. Presque 50% de ceux qui subissent une amputation meurent en deça de quelques mois."

Le Dr Garey soulève que les médecins hyperbares font souvent la plaisanterie noire que l'OTH recevra la reconnaissance qu'elle mérite seulement lorsque se développera un ''tableau avec des photos qui les font se démanger et chigner.''

Il présentera un ouvrage en Juin à la conférence de la ''Undersea and Hyperbaric Medical Society'' à Las Vegas. Le titre de sa présentation ? "Sauvegarde des membres." Qui aurait pensé qu'une telle discussion serait nécessaire en 2005.

 

Traduction libre de:
Diabetics are losing legs unnecessarily